« Avec le BRS et désormais le BRSA, l’argent public concrétise un investissement durable »
Dans la continuité du BRS destiné au logement, le conseil des ministres a approuvé le 8 février l’ordonnance autorisant la mise en œuvre d’un « BRSA », un bail réel solidaire d’activité. Un décret en Conseil d’Etat devra préciser les contours du dispositif. Le BRSA autorisera la cession des droits réels à des micro-entreprises au sens de la recommandation 2003/361/CE de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises, ayant moins de 10 salariés et dont le chiffre d’affaires n’excédera pas 2 millions d’euros, sans que ces dernières puissent louer le bien, détenu par l’OFS. Cette possibilité sera en revanche réservée aux Entreprises publiques locales et aux établissements publics, qui utiliseront les BRSA pour la location à des micro-entrepreneurs à des fins de revitalisation commerciale.
Frédéric Roussel est notaire honoraire ainsi que co-fondateur et trésorier du LIFTI. Il a largement contribué à la formalisation du BRS première génération. Il est administrateur du 1er OFS de France : l’OFSML, et participe aux travaux du Comité juridique du LIFTI, notamment sur le sujet de la dissociation foncière. Il est aussi membre de l’Institut d’Etudes Juridiques du Conseil supérieur du notariat.
Le BRSA s’inscrit-il dans la suite logique du BRS ?
L’ordonnance publiée le 9 février 2023 traduit avant tout l’un des acquis de la loi 3DS, une loi fourre-tout où l’on trouve pas mal de choses, mais où le législateur a rendu concrète la possibilité donnée aux OFS (Organismes de foncier solidaire) d’étendre le BRS aux activités, et ce en ciblant les micro-entrepreneurs. Un temps, l’idée de réserver ce BRSA aux acteurs de l’ESS a prévalu, mais la notion est bien trop vaste, quand on sait par exemple que le Crédit Mutuel relève de l’ESS ! Donc, le choix a été fait de cibler les micro-entrepreneurs, avec une acception assez large du nombre de salariés et du chiffre d’affaires.
J’ai travaillé sur l’élaboration du BRS lorsque j’étais en étroite relation avec la mairie de Lille et son adjointe au logement, par ailleurs députée à l’époque, Audrey Linkenheld. Il était possible de créer un OFS grâce à la loi Alur mais nous ne savions pas trop comment le rendre effectif. Audrey Linkenheld a alors profité d’une fenêtre de tir dans la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques de 2015 portée par Emmanuel Macron pour poser les jalons du BRS. Mais le dispositif était tellement technique que le choix a été fait de passer par une ordonnance rédigée par la DHUP (Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages), en concertation avec plusieurs acteurs du logement social.
Comment le BRS a-t-il réussi à franchir le gué ? En reposant sur une idée simple : pour permettre à un droit immobilier de conserver sa valeur dans le temps où le foncier se dissocie du bâti, on rend le bail rechargeable. C’est ce qui fait aujourd’hui son succès. Je suis actuellement membre du conseil de d’administration de l’OFS de Lille et je peux vous dire qu’en ce moment, nous délivrons – comme de nombreux OFS – beaucoup d’agréments à des acquéreurs en BRS dans le neuf. Le succès de la formule est croissant, nombre d’acquéreurs étant des locataires du parc social.
Comment le BRSA va-t-il fonctionner ? Est-il réellement le jumeau du BRS ? Sa mise en oeuvre pose t-elle d’autres difficultés ?
L’objectif est de faciliter le travail des OFS pour créer de la mixité dans les opérations. Il était en effet paradoxal qu’un ensemble immobilier soit en BRS mais pas son rez-de-chaussée destiné aux activités commerciales. Les OFS pourront ainsi favoriser l’installation de petites entreprises, dans des secteurs à revitaliser. Concrètement, les OFS pourront céder des locaux d’activité à des microentreprises dans des conditions économiques durablement maîtrisées, en cédant les droits réels sous réserve d’un encadrement des prix de cession, du versement d’une redevance foncière à l’OFS, et d’un bail rechargé à l’occasion de chaque cession.
Cette mise à disposition peut prendre deux formes : par la cession directe de droits réels ou par le truchement d’une Entreprise publique locale ou un établissement public qui deviendraient titulaires du BRS pour en donner location aux micro-entrepreneurs.
Quelles différences entre les deux formes ?
Les OFS peuvent céder, à des prix plafonnés, les droits réels relatifs au local d’activité, directement à des microentreprises qui détiendront donc le BRSA, en contrepartie d’une redevance foncière et sans possibilité de le louer. Dans le contrat de bail, l’OFS aura le loisir d’imposer des conditions, comme la nature de l’activité exercée, ainsi que la modulation du montant de la redevance en fonction du chiffre d’affaires du micro-entrepreneur. Si ce dernier dépasse le chiffre d’affaires, rien ne l’oblige à renoncer au bail. De même, s’il échoue dans son entreprise, forcément risquée, une indemnité lui sera versée afin d’éviter d’ajouter un risque patrimonial au risque d’entreprendre…
Concernant les Epl ou les établissements publics, ils acquièrent les droits réels relatifs à des locaux d’activité auprès d’un OFS, deviennent ainsi titulaires du BRSA, à des fins de location à des loyers modérés. La micro-entreprise ne pourra pas sous-louer le local et le titulaire du BRSA -Epl ou établissement public- s’acquittera de la redevance foncière auprès de l’OFS.
Le BRS a eu du mal à décoller mais il semble avoir trouvé son rythme de croisière (voir l’encadré). En sera-t-il de même pour le BRSA, aura-t-il à prouver sa pertinence avant de susciter l’adhésion des acteurs publics ?
Concernant le BRS, les banquiers ont eu du mal à suivre la logique du prêt hypothécaire sur un droit réel dissocié. Il a fallu que le Crédit Foncier s’engage dans le dispositif pour que le système se mette en route. La Caisse d’Epargne a ensuite embrayé lorsque le Crédit Foncier a été absorbé. Puis Crédit Logement a donné son feu vert, couvrant ainsi les risques pris par la banque. Mais ce temps d’acculturation n’est pas terminé. Il faut impérativement que le secteur bancaire s’engage sur les deux dispositifs. C’est même impératif pour qu’ils obtiennent le succès escompté.
Les élus ont aussi compris l’intérêt de faire du BRS à partir du moment où ce dernier est pris en compte pour faciliter l’atteinte des objectifs de logements sociaux fixés par la loi SRU. Le BRSA devra faire l’objet d’une autre forme de communication. Il doit répondre à l’attente d’un artisan qui veut s’installer à moindre frais dans des rez-de-chaussée vacants, par exemple. La cible est là : un petit immeuble dans un cœur de ville type en déshérence, relancé par le BRS pour produire du logement accessible et du BRSA pour revitaliser l’activité commerciale. Avec le BRS puis le BRSA, l’argent public (engagement de la collectivité, subventions, TVA à taux réduit pour le logement…) concrétise un investissement durable. L’idée, avec le BRS, est de créer un véritable parc de logement en accession durablement sociale. Celle du BRSA est de favoriser durablement l’accession à la propriété du local professionnel pour les entreprises les plus fragiles, et de maintenir un maillage de locaux professionnels abordables, notamment en secteur tendu.
330 logements BRS livrés fin 2021… avant un franc décollage !
La dissociation de la propriété foncière et de la propriété bâtie, combinée à l’encadrement des prix de cession, « permet de développer une offre de logements en accession sociale pérenne », à des ménages sous conditions de ressources, ont assuré le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, et son ministre délégué Olivier Klein, chargé de la ville et du logement, lors de la présentation du BRSA en conseil des ministres, le 8 février 2023. Le BRS permet « d’accéder à la propriété à des prix 30 % à 50 % plus faibles que sur le marché », affirment-ils. « Plus de 110 OFS sont aujourd’hui agréés sur l’ensemble du territoire », décrit Olivier Klein, qui le qualifie de « franc succès, alors que seulement quatre OFS étaient agréés à la fin 2017 ». Côté livraisons de logements, 330 logements sont estampillés BRS fin 2021, ce qui reste encore symbolique. Mais Olivier Klein l’assure : les opérations actuellement programmées ou en construction représenteront plusieurs centaines de nouveaux logements en BRS chaque année.
Etes-vous surpris par la montée en puissance du BRS ? Son jumeau « activité » sera-t-il aussi exposé au même temps de latence ?
J’étais initialement convaincu que le dispositif ne pouvait fonctionner qu’à l’échelle d’un immeuble entier, ou par volumes, pour des questions de droit. Or, de fait, nous sommes passés d’une mixité imparfaite à une mixité presque parfaite dans des ensembles immobiliers, avec de nombreuses possibilités pour faire cohabiter des modes de gestion différents. Par ailleurs, le BRS présente l’avantage, au contraire du PSLA, de ne pas être un outil spéculatif. Or, les documents d’urbanismes, Plu et Plui, mettent encore le PSLA sur le même plan que le BRS. Il appartient aux élus de sortir de cette logique, de faire comprendre à leur population que l’investissement public ne doit pas servir à des fins de spéculation financière.
Que faudrait-il pour améliorer encore le BRSA ?
Dans la perspective de l’utilité publique du foncier, je pense qu’il faudrait instaurer une TVA à 5,5 %, comme pour le BRS. 15 points de différence de TVA sur l’achat du foncier, c’est considérable. Je pense que Bercy aurait tout intérêt à faire ce geste pour faciliter le déploiement d’un dispositif qui a sa pertinence.
Le BRSA devrait constituer un outil, comme le BRS, permettant de cristalliser les valeurs foncières en raison de la détention à très long terme par les OFS, organismes à but non lucratif. Il devrait permettre une mixité d’usage complémentaire à celle, sociale, portée par le BRS. C’est enfin un instrument au service de l’attractivité des centres-villes (on pense aux opérations Cœur de ville) mais aussi des centres urbains en zones tendues, dans lesquelles l’accès à la propriété pour les ménages et acteurs économiques les plus modestes n’est tout simplement plus possible. L’aménagement du territoire en dépend, tout comme les gains en pouvoir d’achat pour les intéressés !
Propos recueillis par Stéphane Menu
Crédit photo : PIXABAY